ESSEC 2016 : Le numérique, une révolution sans limites ?
Smartphones, tablettes, réseaux sociaux prennent de plus en plus de place dans notre quotidien, bouleversant nos habitudes privées et professionnelles. Mais jusqu'où le numérique peut-il aller ? La question a donné son thème aux deuxièmes rencontres d'affaires organisées par ESSEC Alumni et essec Executive education.
Les chiffres avancés par Gilles Babint, multi-entrepreneur et champion du numérique pour la France auprès de la Commission européenne, sont sans appel. Depuis le début de l'année 2016, l'ensemble de la population mondiale est connectée au téléphone mobile : On compte au total 7,6 milliards de cartes SIM. Et en 2025, la planète entière sera connectée au monde par une adresse IP. La révolution numérique ne cesse de se propager.
Selon Tanguy Favennec, directeur du marketing digital d'Air France, "le digital n'annonce pas la disparition de l'humain, mais la mutation des métiers". C'est pourquoi le groupe a décidé de regrouper les activités liées à son site web, aux applications mobiles, aux réseaux sociaux, aux moteurs de recherche et aux bornes libre-service au sein d'une seule et même division numérique, dont le site force de travail est passé de 25 à 200 personnes au cours des quatre dernières années. Une réorganisation importante, qui expose certes au risque de créer un silo au sein de l'entreprise, mais qui a notamment permis au site d'Air France de devenir la deuxième plateforme d'e-commerce en France. "Ce succès est dû à trois facteurs principaux : l'engagement de la direction générale, le recrutement d'experts en marketing digital dotés d'une vision stratégique et d'une culture de la transversalité, et l'excellente relation entre les équipes métiers et informatiques. " La réorganisation a également eu lieu chez Engie, avec la création d'une Digital Factory, un centre d'outils et de compétences mis à disposition des 24 entités opérationnelles du groupe pour les accompagner dans leur transition numérique grâce à différents partenariats (Thalès, Fjord, IBM...). Valérie Gaudart, directrice des ressources humaines, parle d'une véritable révolution culturelle : "Nous pilotons des actions de reverse mentoring, proposons un passeport numérique et des MOOC sur la transformation interne, développons le télétravail...". Le numérique n'est plus seulement une fin en soi, mais déjà un moyen : "Avec Li, nous avons lancé Matching Energy, un algorithme qui met en relation des salariés par centres d'intérêt. "L'objectif est de favoriser les synergies et la transdisciplinarité... et d'identifier les nouveaux talents capables d'apporter le changement "toutes générations confondues". Ahmad Hassan, associé chez Heidrick & Struggle, explique le profil recherché : "Nous avons besoin de collaborateurs prêts à prendre des risques et à faire des erreurs. La peur ralentit la transformation numérique". Isabelle Mashola, ancienne DSI de Publicis et cofondatrice de la plateforme d'externalisation numérique Isahit, confirme : "Lorsque Publicis a mis en place un cloud privé pour améliorer le parcours client multicanal, il y a eu beaucoup de résistance de la part des équipes car elles avaient peur que la technologie remplace leur travail". " Pour elle, le verdict est clair : " Il faut embaucher du sang neuf, des gens avec un état d'esprit plus agile ". "
Pour Alain Vallée, chercheur à la Chaire Innovation et régulation des services numériques de Télécom ParisTech, la dématérialisation des services a bouleversé la chaîne de création de valeur, "d'une part en dissociant la fonction de son support, ce qui a entraîné la chute des acteurs historiques, d'autre part en générant des économies considérables de augmentez, ce qui a conduit à l'émergence de nouveaux modèles. L'industrie musicale, la plus anciennement touchée, illustre parfaitement cette évolution : d'abord, les revenus ont chuté. Puis ils ont bougé. Aujourd'hui, on ne paie plus sur le sujet - le nombre de CD vendus - mais sur la consommation elle-même - le nombre d'écoutes sur un site de streaming. Les plateformes numériques se sont greffées sur la chaîne de valeur et en sont désormais l'articulation centrale. "Elles connectent deux groupes d'utilisateurs : ceux qui recherchent l'audience et ceux qui recherchent le divertissement. Et c'est ce service qu'elles monétisent, au lieu des produits eux-mêmes, qui ne sont plus que des vecteurs. La source de valeur n'est donc plus en amont mais en aval : "Ce qui fait vendre, c'est la capacité à comprendre le marché". Ce sont les algorithmes et les données collectées sur les clients. Ces derniers sont ainsi propulsés au cœur de l'écosystème - ce qui bouleverse leur relation avec les entreprises. Aurélien Henry, directeur Business consulting chez Velvet Consulting, cite l'exemple de Wizing, qui a intégré les informations météorologiques dans son nouveau modèle connecté augmentez après avoir constaté que ses utilisateurs étaient les plus susceptibles de se peser vers 7h30, le moment où ils s'habillent et où ils ont besoin de savoir l'heure qu'il va faire. "Il y a un découplage croissant entre le back office et le front office. Avec des conséquences jusqu'au niveau sociologique : on développe le sens du partage et du collectif, on laisse la consommation de masse au profit de l'ultrapersonnalisation... Autre renversement : On privilégie désormais la jouissance immédiate du bien. C'est l'avènement de la gratuité. Alexandre Pébereau, fondateur de Tofane et ancien d'Orange, se souvient : L'éclosion de Skype a provoqué une onde de choc dans la téléphonie mobile. Nous sommes passés en quelques années d'un monde où la moindre minute d'appel à l'étranger nous coûtait une fortune à un moment où nous avons chacun en moyenne cinq heures de communication internationale par an sans impact sur notre facture. Car les transitions numériques ont ceci de particulier qu'elles se font toujours à vitesse grand V. Christophe Parcot (E90), membre du conseil d'administration de Teads.tv, en sait quelque chose : la publicité numérique évolue à un rythme effréné. En quelques années, nous avons connu les pages surchargées, les adblockers, les formats non forcés et très ciblés insérés dans un texte, et maintenant l'OutStream. Le principe : chaque visiteur d'un site est vendu aux enchères en temps réel (moins de 200 ms) directement auprès des annonceurs. Ce mode d'achat programmatique concerne déjà 30 à 40% des transactions et menace de désintermédier les agences - alors qu'il n'est là que depuis cinq ans ! " Conclusion : "Inutile de résister. Les clients imposent la transformation digitale. Le vrai problème est de savoir comment réagir. Intégrer la disruption comme seule constante de ses activités, voilà peut-être le seul modèle viable dans cette nouvelle économie.
Si le numérique crée un écosystème propice à l'entrepreneuriat, ses jeunes acteurs sont néanmoins confrontés à des difficultés spécifiques. Delphine Le Serre, cofondatrice de StudyWork, se souvient : Nous avons eu du mal à trouver notre CTO. Il devait répondre à trois critères : avoir des compétences techniques - or la France manque cruellement de développeurs ; avoir une sensibilité business - comprendre nos besoins et être attentif aux retours des utilisateurs ; et être motivé malgré une faible rémunération - voire être capable de s'autofinancer pendant 12 à 24 mois, en échange d'actions... Charlotte Sieradzki, cofondatrice de Cook Angels, a rencontré le même problème : nous avons dû faire appel à plusieurs agences. La recherche a été longue. Mais il ne suffit pas de s'entourer des bonnes personnes, il faut aussi développer le bon produit. Antoine Petit, président-directeur général d'Inria, a déclaré : "Toute technologie ne débouche pas forcément sur un produit, et ne trouve pas forcément un client". Une start-up peut tourner plusieurs fois avant d'identifier le bon mix. Cyril Garnier, directeur général de SNCF Développement, confirme : La priorité est de répondre aux besoins du client. Car c'est lui qui prendra le relais des investisseurs pour porter votre croissance. Bernard-Louis Roques (E86), cofondateur de Truffle Capital, situe cette bascule au moment où la start-up passe de l'expérimentation à l'exécution. "Vous avez développé votre produit et rencontré votre marché. Mais vous devez encore développer vos équipes, spécialiser les fonctions, conquérir l'international. C'est un défi marketing, commercial, opérationnel, managérial... Et, bien sûr, financier. A ce stade, Cyril Garnier distingue deux options : soit vous êtes déjà suffisamment rentable pour payer les salaires, les fournisseurs et investir vous-même. Auquel cas, il ne faut pas hésiter à se faire aider - sauf si vous disposez déjà d'un réseau étendu et de solides compétences grâce à vos expériences professionnelles passées. Soit, comme Uber, vous ne pouvez atteindre la rentabilité qu'en changeant d'échelle. Il faut alors faire une nouvelle levée de fonds. Bernard-Louis Roques prévient : Vous ne trouverez pas de financement de ce niveau en France. Seuls les États-Unis et la Chine sont capables de mettre plus de 50 millions sur la table. "Charlotte Sieradzki Nuance : Commencez par l'Europe. Outre-Atlantique, la concurrence est rude. Cyril Garnier conseille de se tourner vers l'Afrique, notamment francophone, où de nouvelles formes de consommation numérique apparaissent, ouvrant des perspectives intéressantes. Tous s'accordent sur un point : changer le augmentez dans le numérique passe nécessairement par l'international.
Comment répondre au besoin de formation que la révolution numérique induit ? En utilisant les outils et les ressources qu'elle met à la disposition de tous. Tanguy Yu, cofondateur d'Ubicast, accompagne les entreprises dans la réalisation, l'indexation et l'archivage de vidéos de formation en entreprise. Objectif : Créer des bibliothèques virtuelles auxquelles les salariés peuvent se référer afin de s'initier en quelques clics à un sujet particulier. Dans la même veine, Alexandre Mezard, cofondateur de Cumulus, propose une solution de vidéo-formation interactive : "Cela permet d'apprendre à son propre rythme". De nouvelles possibilités éducatives qui arrivent dans le monde de l'enseignement. Nicolas Glady, professeur de la chaire Accenture Strategic Business Analytics de l'ESSEC, précise : Il ne s'agit pas de remplacer la formation par le numérique, mais de l'inclure, en gardant l'idée d'expérience utilisateur et de lien : Apprentissage par les pairs, évaluation par les pairs.... Svenia Bussion, cofondatrice de l'Edtech World Tour, prône la même approche : les technologies sont un outil. Elles s'ajoutent aux rencontres, aux expériences et aux voyages - elles ne les remplacent pas. Stephan Marthelot (G13), directeur du marketing et du développement à l'ArtLine Institute, cite en exemple les Micromasters du MIT : "On commence par suivre des MOOC, et si on valide, on fait un semestre de cours sur le campus." D'autant que les participants eux-mêmes ne sont pas toujours prêts à suivre un cours entièrement sur Internet. Sylvain Peterson, directeur des ressources humaines des taxis G7, le constate : Les salariés sont réticents aux tutoriels filmés. Ils exigent du face à face et du coaching. Néanmoins, les organismes de formation en ligne s'y essaient - et leur catalogue de cours est souvent résolument tourné vers la révolution numérique dont ils sont eux-mêmes l'émanation. Un cercle vertueux qui, loin d'avoir atteint ses limites, n'en est qu'à ses débuts.
http://www.alumni.essec.edu/fr/association/rencontres-business-essec-2016-numerique-la-revolution-sans-limi/
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